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12 avril 2024 | écrit par Julien Pinsonneault |
Il n’y a pas un jour qui passe à la clinique sans que l’on me parle de dénouer des muscles, de libérer des points de tension ou même de défaire des nœuds musculaires. Cette idée commune de délier les muscles fait référence à une possibilité tangible que notre musculature puisse faire des enroulements de fibres menant à la création de soi-disant « nœuds ». Est-ce réellement le cas ou bien une déformation d’un biais de vulgarisation populaire qui persiste dans nos racines professionnelles? Ainsi, il est enfin le temps de mettre les pendules à l’heure pour formuler un discours védique et intelligible auprès de notre clientèle une bonne fois pour toutes. Allons démêler ensemble le fond de la situation!
Tout d’abord, faisons un petit rappel physiologique d’une contraction musculaire. La contraction musculaire est un processus complexe qui implique notamment l’interaction entre les protéines contractiles d’actine et de myosine dans les fibres musculaires, où la myosine tire l’actine vers le centre du sarcomère, soit l’unité fonctionnelle d’une fibre musculaire. Autrement dit, le sarcomère est l’unité de base des myofibrilles des muscles striés. Il permet tout simplement la réalisation des mouvements du corps.
Selon le modèle de contraction par glissement des filaments, lors de la contraction musculaire somatique, un influx nerveux est acheminé par les motoneurones vers la jonction neuromusculaire, la synapse entre le neurone moteur et la fibre musculaire. Ce signal traverse la jonction neuromusculaire et stimulera la libération d’un neurotransmetteur unique, soit l’acétylcholine. Ce dernier se lie dans un premier temps aux récepteurs nicotiniques N1 et N2 présents à la surface du neurone postsynaptique. Cet effet excitateur induit notamment une dépolarisation locale du sarcolemme que l’on appelle potentiel de plaque motrice. Cette ouverture très brève des canaux sodium voltage-dépendants déclenche un potentiel d’action le long de la fibre musculaire qui pénètrera dans les tubules transverses pour stimuler la libération du calcium contenu dans les citernes terminales du réticulum sarcoplasmique. Cette augmentation intracellulaire en ions calciques facilitera l’interaction actine-myosine par le changement tridimensionnel de la troponine C à la base du cycle de couplage excitation-contraction. D’ailleurs, l’acétylcholine disparait rapidement de la fente synaptique par hydrolyse via l’enzyme acétylcholinestérase pour assurer la terminaison du signal nerveux et permettre la propagation de l’influx nerveux suivant. À la fin du signal nerveux, la diminution de la concentration d’adénosine-triphosphate (ATP) par son hydrolyse empêchera la liaison de la myosine à l’actine. Les myofilaments se séparent, le muscle se relâche.
Or, durant la contraction, la longueur des myofilaments demeure constante. Un simple chevauchement partiel entre les filaments minces et épais se produit par la résultante du glissement relatif entre les deux. Ainsi, les fibres musculaires ne s’entremêleront pas pour former lesdits nœuds dont tout le monde parle. Alors, pourquoi l’idée de démêler les tensions reste si ancrée dans notre jargon du quotidien?
Le phénomène pouvant expliquer le tout se cacherait derrière la physiopathologie des points gâchettes. Ce dernier est reconnu comme une source primaire de douleur myofasciale. Il est défini par la littérature comme étant un point irritable circonscrit le long d’une bande tendue de fibres au sein d’un muscle squelettique. Malgré la prévalence et l’importance clinique de cette source fréquente de consultation, la formation de ces points reste encore un mystère à ce jour. Cependant, l’hypothèse intégrée élaborée par Simons en 1999 reste la plus prisée pour définir le développement de « nœuds de contraction » au sein de nos fibres musculaires.
En quelques lignes, voici les fondements derrière cette idéologie :
En somme, les nœuds musculaires se présentent comme une zone myo-fasciale nodale dense qui résulte d’une contracture microscopique. Ils proviennent d’une réponse électrique chaotique menant à une réaction en chaine dont l’une des résultantes est l’hypoxie locale. Nous défaisons techniquement des noeuds musculaires, mais les fibres ne sont pas emmêlées, nous redonnons plutôt une longueur d’action aux fibres. C’est à l’image d’une sangle d’un sac à dos que l’on desserre.
Saviez-vous que la formation de ces « nœuds » peut être observée sur des coupes histologiques ? Cependant, il n’est pas possible d’objectiver un point gâchette par l’entremise d’imageries conventionnelles telles que la radiographie, l’échographie, l’imagerie par résonnance magnétique ou par tomodensitométrie. Ainsi, en passant sous le radar, plusieurs professionnels de la santé ont tendance à négliger l’importance de cette condition dans la prise en charge de divers cas orthopédiques. Soyez à l’écoute des symptômes locaux ou référés de vos clients, vous pouvez vous référer à la cartographie des douleurs projetées de Travell et Simmons pour mieux remonter à leur source. Par exemple, des douleurs similaires à une sciatalgie pourraient découler d’un nœud de tension dans le moyen fessier ipsilatéral à la douleur.
En prévention, que pouvons-nous faire ? Voici quelques suggestions lors de vos soins :
Il ne faut pas toujours être scout pour savoir défaire des nœuds. Cessons de partager une fausse croyance envers nos clients et commençons plutôt à reconstruire la physiologie théorique derrière le travail de nos mains.
Références
Bron, C., & Dommerholt, J. D. (2012). Etiology of myofascial trigger points. Curr Pain Headache Rep, 16(5), 439-444. doi:10.1007/s11916-012-0289-4.
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Shah, J. P., Thaker, N., Heimur, J., Aredo, J. V., Sikdar, S., & Gerber, L. (2015). Myofascial Trigger Points Then and Now: A Historical and Scientific Perspective. PM R, 7(7), 746- 761. doi:10.1016/j.pmrj.2015.01.024.
Simons, D.G., Travell, J.G., Simons, P.T. : Travell & Simons’ Myofascial Pain & Dysfunction. The Trigger Point Manual.Volume 1. Upper Half of Body, 2ième éd. Baltimore Williams & Wilkins, 1999.
Stecco, A., Gesi, M., Stecco, C., & Stern, R. (2013). Fascial components of the myofascial pain syndrome. Curr Pain Headache Rep, 17(8), 352. doi:10.1007/s11916-013-0352-9.
Julien Pinsonneault
Fier Maskoutain, ce passionné de l’anatomie est un adepte de la course à pied sous toutes ses formes. Son amour du sport et de la performance l’ont mené à développer, au fil du temps, une expertise clinique auprès des sports d’endurance. Julien est animé par les mille et un secrets que renferme la machine humaine. Ses multiples implications communautaires et professionnelles font de lui un acteur clé dans l’épanouissement ainsi que la valorisation de la massothérapie. C’est avec un regard inclusif et ancré sur les données probantes que ce thérapeute aux multiples chapeaux prendra plaisir à démystifier l’univers de la santé pour vous et vos clients. Bonne lecture!
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