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Peut-on masser sans pouce?

6 mars 2023  |   écrit par Philippe-Olivier Jasmin  |

Vous, massothérapeutes ! PO a un défi pour vous. Vous ! Oui, vous ! Dernièrement, Soins Personnels Québec a publié son analyse sous-sectorielle de la main-d’œuvre du secteur de la massothérapie 2022. Nous pouvons y lire :

« Généralement, plus de la moitié des massothérapeutes souffrent d’au moins un problème de santé lié à la pratique de leur profession (tableau 51). Les problèmes les plus fréquents dans le secteur sont les douleurs au cou et aux épaules (41 %), les maux de dos (33 %) et les douleurs dans les doigts (32 %). […] Alors que 40 % des massothérapeutes souffraient d’au moins un problème de santé lié à la pratique du métier, cette proportion est désormais de 63 %. »

Oh… Wow… La proportion est désormais de 63 %. 63 ! Bel gang de cordonniers mal chaussés. La massothérapie est-elle un domaine si cauchemaresque physiquement ? Sommes-nous des esclaves condamnés à ramer enchaînés dans une galère ? Clairement, quelque chose quelque part ne tient que par la grâce d’un peu de ruban adhésif et de gomme à mâcher.

Néanmoins, avouons-le : personne n’est vraiment surpris qu’il y ait autant de massothérapeutes blessés.

Massothérapeute donne un soin sans les pouces

L’éléphant dans la pièce

Effectivement, cette rébellion de corps de massothérapeutes n’est aucunement un secret gardé. Même en connaissance de cause, plusieurs d’entre nous jouons avec le feu.

Comme vous le savez, on se blesse quand on se fatigue : « Huit massages par jour ? Je dormirai quand je serai mort ! »

On se blesse quand on prend de mauvais plis : « Mon enseignant n’est plus par-dessus mon épaule à surveiller ma posture, alors ce n’est pas grave si je masse comme Quasimodo ! »

On se blesse quand on triche sur la biomécanique de l’exécution de nos techniques : « Ce n’est pas grave si j’ai l’épaule qui me grimpe à l’oreille et le pouce en hyperextension ; ma technique déploie la pression désirée ! »

On se blesse surtout quand on ignore tous les cris d’alarme de notre corps et lorsque l’on travaille plus fort que l’on devrait : « Je tremble comme quelqu’un d’atteint de la maladie du Parkinson qui a pris une quantité astronomique de café et mes articulations hurlent de douleur, mais au moins, mon client est satisfait de ma pression. »

À entendre discuter plusieurs de ces massothérapeutes blessés, ces scénarios arrivent seulement aux autres. Continuez d’essayer de vous convaincre, ma gang de syndrome du canal carpien chronique. Si le chapeau vous fait, portez-le. Reconnaître le problème demeure le premier pas vers sa solution.

Massothérapeute qui masse sans les pouces mais avec les poings

Oui, mais PO, c’est quoi ton défi ?

Ah oui ! Le défi. Puisque tout thérapeute avec un minimum d’expérience sur le terrain sait que « douleurs dans les doigts » se traduit par « douleurs aux pouces ». Afin de faire descendre ces statistiques, PO vous propose un défi : masser sans utiliser les pouces. Je vous entends déjà me supplier : « Mais PO, comment vais-je faire pour assurer une même qualité de massage, une même précision et profondeur sans la participation de mes pouces ? » Comme le mentionne l’acteur Robert Downey Jr dans cette réplique : « If you’re nothing without the suit, then you shouldn’t have it.[1] »

Pourquoi un tel défi ?

La technique de massage traditionnellement pratiquée au Québec est le massage suédois. Comme n’importe quelle technique, elle présente à la fois des forces et des faiblesses. Il devient donc logique que bien des thérapeutes pratiquent tout en étant prisonniers de leurs boulets. Quel est le point faible du massage suédois ? Sauf quelques rares exceptions, cette technique se base uniquement sur les mains pour accomplir les diverses manœuvres. Cependant, n’importe quels boxeurs ou pratiquants d’arts martiaux vous le confirmeront : une main, c’est fragile !

Malgré tout, si vous ne disposez que d’un marteau dans votre boîte à outils, chaque problème deviendra un clou. Bref, c’est la même chose que d’employer un mauvais outil, au mauvais moment et pour accomplir le mauvais objectif. Ajoutez à ce phénomène le fait que l’on pourrait aplatir certains clients comme une crêpe avec un rouleau compresseur et ils trouveraient la pression encore trop « légère ». Maintenant, combinez le tout et vous obtiendrez la recette parfaite pour que 63 % des massothérapeutes se blessent en travaillant.

Alors, à quoi ressemble l’outil adéquat à employer au moment opportun afin d’accomplir l’objectif voulu ?

Un outil pour chaque occasion

Un outil pour chaque occasion

Besoin d’un scalpel ? Quelque chose de précis, raffiné ?

Vos doigts demeurent vos meilleurs éclaireurs. Vous me direz : « Mais PO, tu me demandes de ne pas me servir de mes pouces et tu veux que je me serve de mes autres doigts ? Ils sont encore plus fragiles ! Clairement, tes œufs sont brouillés dans ta tête. » Les push ups sur les doigts sont l’exercice parfait pour les renforcer. Même effectués à la verticale, le stress appliqué sera suffisant pour fortifier vos mains.

Besoin d’un rabot ? Quelque chose de plus robuste ?

Vos jointures représentent le meilleur substitut à vos pouces : même précision, même efficacité, mais plus vigoureux. Et… voyons dont ça… avec le poignet dans l’axe, c’est une prédisposition de moins pour se blesser ! Finalement, il n’y a aucune raison d’utiliser ses pouces quand nous avons des jointures.

Besoin plutôt d’une massue ? Quelque chose qui punch ?

Allez-y au poing. Attachez votre tuque avec de la broche ; ça écrase. Cependant, le poing présente une ironie : il déplace bien plus d’air que vos jointures, mais sa large surface de contact fait en sorte que sa pression est moins agressive. Bref, le système nerveux sera plus enclin à vous ouvrir la porte et à vous laisser passer sans rouspéter. Similairement aux jointures, le poignet reste dans l’axe ! Eh bien bâtard…

Besoin d’un rouleau compresseur ? Quelque chose d’audacieux et d’ambitieux ?

Sortez votre gros canon : l’avant-bras. Il est bien plus fort que votre main et, avec le poignet qui est soustrait de l’équation, votre transfert de poids se métamorphose en bonhomme Kool Aid devant un mur. Bien des thérapeutes appréhendent l’emploi de l’avant-bras. Pourtant, il s’agit d’un outil des plus polyvalents. Besoin d’une main de velours dans un gant de fer ? Faites une petite pronation pour masser avec le ventre musculaire des fléchisseurs du poignet. Besoin d’un peu plus de piquant ? Cette fois, faites une petite supination pour que le point de contact s’effectue plutôt avec l’ulna. Besoin de piquer votre client ? Ajoutez une petite flexion du coude et BAM ! Votre olécrâne laboure votre client avec la précision du pouce, mais avec la force de l’avant-bras.

Maintenant, vous comprenez pourquoi le lomi lomi et le massage des tissus profonds (deep tissue) ont fièrement mérité une place parmi les cinq formations continues recommandées par PO.

Une personne qui triche

Parfois… il faut tricher

Mais que fait-on si notre client est fait de béton et que même notre coude peine à percer son armure ? Vous ne le croirez peut-être pas, mais parfois, employer l’outil adéquat revient à employer… un outil. Surprenant, non ? Après tout, si vous massez avec un objet, celui-ci devient la cible principale du stress mécanique déployé par votre technique. Bref, c’est un bon moyen pour se sauver les mains. Ici, ce n’est pas le choix qui manque : ventouses, outils de massage, pierres chaudes, ballotins, bambous, Guasha/IASTM ou le vibromasseur. Bref, vous pouvez utiliser n’importe quel outil de massage à la mode qui n’est pas un acte réservé sous l’ombrelle d’un ordre professionnel. Si vous avez un doute, n’hésitez pas à contacter le Réseau.

Sinon, la meilleure façon de ne pas se faire prendre au jeu est de ne pas jouer. Effectivement, les chances de se blesser les pouces sont pratiquement nulles, si nous mobilisons ! De ce fait, il devient un peu ridicule de martyriser ses pouces en piquant à travers plusieurs couches musculaires cimentées par leur mauvaise humeur pour ainsi chatouiller un petit muscle profondément enfoui. Après tout, la mobilisation élimine la profondeur du muscle visé de l’équation puisqu’elle sollicite toutes ses fibres musculaires, et ce, peu importe à quel point elles sont profondément enfouies. Avec tous les amplificateurs possibles à la mobilisation comme le relâchement post-isométrique, l’inhibition réciproque, le pin and stretch, le flossing ou le mouvement respiratoire, il devient difficile de ne pas être efficace.

Sincèrement, avec autant d’alternatives et d’outils, comment se fait-il qu’autant de massothérapeutes se blessent ? Se massacrer le corps serait-il un rite de passage en massothérapie ? Est-ce une question de formation ? De paresse ? De masochisme ?

Les deux conseils de PO

Pour vous, massothérapeutes qui souffrent, j’ai donc deux conseils. Premièrement, soyez paresseux. Visez le maximum de résultats avec le moins d’efforts possible. Soyez efficace. Ça implique d’employer l’outil adéquat au moment opportun afin d’accomplir l’objectif désiré. Deuxièmement, priorisez toujours votre bien-être avant celui du client. Il ne vous versera pas un salaire si vous vous blessez et, à moins qu’il soit dans le domaine, il ne sait absolument pas comment bien faire votre travail. Donc, si comme moi, vous tombez sur une personne qui désire la pression d’un rouleau compresseur et qui vous mentionne par la suite « la pression était parfaite, mais j’aurais aimé plus de petits doigts fins », sauvez-vous en courant.

Alors, vous, les massothérapeutes boudés par vos pouces, un choix s’impose. Vous pouvez continuer à les terroriser ou relever mon défi : masser sans pouce. Parce qu’à la question : « Peut-on masser sans pouce ? », la réponse est : définitivement ! Vous pourrez recommencer à vous servir de vos pouces quand vous le mériterez. À ce moment, je suis convaincu que vous aurez réalisé que vous n’en aviez pas besoin de toute façon.

Bons soins sans pouce !

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[1] Traduction : « Si vraiment tu n’es rien sans ce costume, c’est que tu ne le mérites pas. »

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Philippe-Olivier Jasmin

Vous reconnaîtrez probablement Philippe-Olivier Jasmin comme un des collaborateurs qui écrit pour le blogue du RMPQ depuis son implantation. Non? Pas de problème! Peut-être comme l’orthothérapeute clinicien aguerri. Celui qui décortique l’anatomie, explore la biomécanique et déniche des tactiques et des approches cliniques efficaces pour ces confrères massothérapeutes? Ou encore, comme le collaborateur pour le blogue de l’AMS et le superviseur-coach d’orthothérapie à leur campus de Montréal? Ou probablement comme celui qui unit des formations de la Chine, de la Colombie-Britannique et des États-Unis à sa formation d’orthothérapeute pour attiser l’étincelle de l’excellence et inspirer ses collègues à être awesome? … … ... Quand il n’est pas en train de masser ou de promouvoir la reconnaissance de la massothérapie par l’éducation, P-O a le nez plongé dans un bouquin, su à exercer sa routine de rame, de callisthénie et de Tai Chi, ou relaxe paisiblement un café à la main. Alors qui est P-O? Un rêveur? Un perfectionniste? Un guerrier pacifiste zen? Pour le découvrir, mets ton casque et viens le rejoindre au front!

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